Corporatisme, individualisme, égoïsme, jalousie, mesquinerie... ces mots pourraient s'appliquer à bien des personnes et à bien des professions. Et malheureusement pour nous, il s'applique aux guides.
Corporatistes, les guides le sont lorsqu'ils refusent dialogue et rapprochement entre guides différemment cartés au motif que "ce n'est pas la même chose". Pourtant, les lieux que l'on fait visiter sont les mêmes. Les connaissances mises en œuvre aussi : où que l'on soit en France, on raconte la même histoire de France. Seuls les publics varient... mais au fond, ce sont des êtres humains que nous accueillons. Et nous le faisons dans le même but : transmettre (une histoire, une culture, une mémoire...). Le métier est fondamentalement le même.
Individualistes, les guides le sont de par la nature solitaire du métier. Solitaire, le guide l'est face au client tout comme il l'est à son bureau lorsqu'il prépare une visite ou attend qu'une mission vienne à lui durant les longs mois d'hiver. Individualiste, le guide l'est parce qu'il croit que c'est la seule condition de sa survie. Mais solitaire il est lorsqu'il doit se battre pour vivre décemment de son métier.
Égoïste, le guide l'est lorsqu'il refuse de partager ses informations avec l'autre, ne voyant dans ce dernier qu'un concurrent, une menace.
Jaloux, le guide l'est lorsqu'il dénigre le travail de ceux de ses collègues qui travaillent plus que lui, allant parfois même jusqu'à des attaques personnelles.
Mesquin, le guide l'est en tout ce qui précède...
Sans parler du conservatisme qui le pousse à s'arc-bouter sur de vieux principes en s'enfermant dans sa tour d'aveuglement pour mieux ruminer ses haines recuites.
Ce type de guide existe, nous en connaissons tous.
Peut-être même avons-nous été, un jour, un peu comme ça... parce que c'est foncièrement humain.
Nous sommes une profession unique avec des champs d'application pluriels. Nous sommes une profession singulière avec des personnalités multiples. Chacun d'entre nous a sa propre approche de la conception et de la conduite d'une visite, qui varie en fonction de son expérience, de ses acquis, de ses préférences et des objectifs qui nous sont fixés ou que nous nous fixons à nous-même. Le bon ou le mauvais guide n'existe que dans le regard de son public. Pour autant, nous exerçons une profession où le regard que l'on est si prompt à porter sur notre environnement et sur autrui doit aussi et avant tout être porté sur nous. Il n'est de guide professionnel que celui qui sait s'interroger et se remettre en question, celui qui doute et qui se demande si cette visite sera satisfaisante, pour son public d'abord et pour lui ensuite. Il est normal de douter, tout comme il est normal de ressentir ce trac avant d'entrer en scène, le même qui paralyse et stimule à la fois l'acteur qui monte sur les planches. Pendant toute la durée d'une visite, le guide est en tension permanente, presque shooté par l'adrénaline... enfin tel est celui qui ne récite pas le même discours appris par coeur des années plus tôt. Tel est celui qui a à coeur de faire son métier dans les règles de l'art, qui s'est fixé une éthique.
Il n'y a pas UN guide, il y a DES guides. Parce que chacun est unique, singulier. Pour autant, nous sommes UNE profession. Fragile et précaire mais passionnante. Difficile et épuisante mais épanouissante. Ce sont trop souvent nos difficultés seules qui nous unissent dans un élan que l'on voudrait solidaire pour défendre nos droits. L'union fait la force, dit-on. Mais l'union des guides n'existe que par à-coup, lorsqu'un problème se présente. Là, parfois, rarement en fait, un esprit collectif se fait jour. Mais la solidarité se retrouve vite confrontée aux limites imposées par les intérêts particuliers de chacun. Ressortent alors les vieilles rancoeurs, les corporatismes d'un autre âge et l'attachement à quelques rares (pseudo-)privilèges ou à un certain confort dont le ridicule le dispute à l'obsolescence et qui ont vite fait de noyer l'embryon de mouvement collectif sous une chape de découragement pour les uns et d'auto-satisfaction pour les autres. Il en est ainsi lorsque certains préfèrent l'immobilisme à l'action.
Seul un mouvement collectif qui n'a pour intérêt qu'une solidarité gratuite entre tous ses membres faisant fi des intérêts particuliers a une chance d'être porteur de changement pour notre profession. Changer pour ne pas y perdre. Agir ensemble pour ne pas se perdre soi. Les menaces sont partout et le risque est latent de perdre les derniers des droits qui protègent notre activité. Le train des réformes est en marche et son avancée est inéluctable. Nous pouvons choisir de ne rien faire, de nous recroqueviller sur notre auto-apitoiement en laissant nos oeillères ne nous montrer que ce que nous perdons.
Nous pouvons aussi choisir de regarder vers l'avenir, d'accompagner cette avancée, de soutenir des propositions, de nous battre collectivement. Pas pour sauver ce qu'il reste à sauver mais pour créer une profession à notre image, dont nous puissions être tous fiers. Pas pour alerter le monde sur une espèce professionnelle en voie de disparition mais pour montrer à quel point le guide est indispensable à l'activité touristique et culturelle de notre pays et qu'à ce titre, sa valeur doit être reconnue.
Rien ne dit que nous gagnerons.
Rien ne dit que nous perdrons.
Mais même si nous perdons, au moins aurons-nous la satisfaction d'avoir essayé. Et peut-être aurons-nous appris à travailler ensemble... Mais pour y parvenir, nous devons faire tomber les barrières qui nous cloisonnent et ne regarder que vers l'avenir.
Tel est, en tous cas, mon point de vue personnel et le sens de mon engagement dans les réflexions et les travaux, passés et à venir, conduisant à nous assurer à tous, je l'espère, de meilleures conditions de travail et donc, de vie.